Étudier à Andafy n’est pas arriver au paradis
Dans l’imaginaire de certains Malgaches, pouvoir étudier à Andafy* signifie avoir franchi une étape qui ne peut qu’aboutir au succès et à un avenir riche et brillant. Et pourtant, ce n’est pas toujours le cas… Je vais vous raconter certains aspects qui ne sont pas souvent évoqués quand on parle de partir faire des études hors de Madagascar.
*Andafy est le nom générique que les Malgaches donnent à l’Europe et plus particulièrement à la France.
Partir étudier ailleurs c’est changer d’environnement familial, culturel et social
Quand on part de Madagascar pour étudier en France, il y a un assez important décalage entre ce qu’on a vécu dans le cocon familial et ce qu’on va devoir vivre tout seul (ou presque). A Madagascar, il est encore assez rare de quitter la maison familiale à la majorité ou après le bac. Souvent, les enfants ne quittent le cocon que lorsque leur mariage est prévu. Imaginez donc le changement !
A l’étranger, on doit désormais apprendre à vivre, à s’assumer et à se débrouiller seul(e) sans les parents ni la famille. On part d’un environnement où on pouvait atterrir chez la grande famille sans prévenir et juste parce qu’on passait dans le coin pour arriver dans un autre où tout est codé (les heures pour appeler, les coups de fils pour connaître la disponibilité des gens pour passer les voir…). On n’a plus papa ou maman pour s’occuper des paperasses administratives et pour se nourrir, il faut s’occuper d’être en règle sur tous les plans avec l’administration tout seul (les impôts, la préfecture, la sécurité sociale…). Et il en est de même pour tout ce qui concerne le quotidien. On doit penser à payer les factures à temps, à organiser le quotidien, tout en poursuivant ses études. C’est déstabilisant !
Partir étudier ailleurs c’est avoir un autre moyen d’accès à la connaissance
Ce n’est pas une généralisation mais à Madagascar, même dans le cadre des études supérieures, nous sommes considérés comme les « élèves », par conséquent, on nous donne tout ce qu’il y a à savoir. Il y trop peu d’autres moyens d’accéder à la connaissance que ce qui est donné par les enseignants. Le manque de bibliothèques n’aide pas non plus. Une fois à Andafy, on se rend compte qu’il y a autant de façon d’apprendre une matière que d’ouvrages écrits en la matière. Et même parfois, l’enseignant nous donne juste les bases, c’est à nous de rechercher en bibliothèque, de nous mettre à jour et de suivre les actualités sur la matière. Quand cette nouvelle méthode de travail n’a pas été inculquée dès le départ, on se retrouve perdu devant les rayonnages dans les bibliothèques ou les librairies (où il y a une dizaine d’ouvrages qui traitent de la même matière quand on n’étudiait que sur un seul auparavant). On peut avoir été parmi les meilleurs au pays et se retrouver mal classé à Andafy, tout simplement parce que les méthodes de travail et de notation ne se ressemblent pas. Ce point peut ébranler de manière significative sa confiance en soi et faire douter de ses capacités.
Partir étudier ailleurs c’est accéder à la liberté
Il ne faut pas se voiler la face, quand on part du cocon familial, on devient plus libre qu’avant. Cette sensation de liberté vient d’abord du fait qu’on travaille et donc qu’on gagne sa vie comme un grand. Ensuite, l’absence du sentiment d’insécurité fait qu’on se sente libre de sortir n’importe quel jour, à toute heure, même la nuit. Cette liberté peut vite devenir enivrante et nous faire perdre de vue la raison de notre venue à Andafy, c’est-à-dire les études. Et enfin, pouvoir vivre librement sans avoir la tantine ou la voisine qui rapporte tout ce qu’on fait aux parents… croyez-moi c’est un poids en moins qui fait qu’on profite vraiment de la vie. Mais profiter de cette vie peut aussi s’avérer néfaste pour la suite. Combien de jeunes a-t-on vu motivés par les études au début, puis se retrouver embourbés dans les sorties ou dans le travail, pour finir par abandonner les études parce que gagner sa vie est devenu plus important et vital que finir ses études ? Et quand ce n’est pas cet accès à la liberté qui fait trébucher, c’est la peur de décevoir.
Partir étudier ailleurs c’est ne pas avoir le droit d’échouer
Quand on part à l’étranger, on nous fait comprendre qu’on a de la chance d’y aller et on sous-entend souvent qu’on n’a donc pas le droit d’échouer. La famille et l’entourage s’attendent souvent à ce que l’on réussisse, sans tenir compte de toutes les difficultés qu’on éprouve en étant seul, dans un monde qui ne ressemble pas vraiment à celui dans lequel on a toujours vécu. Devant ces espoirs, souvent, on n’ose pas leur dire tout ce qui se passe réellement dans nos quotidiens, on leur cache les bobos, les coups de blues et tous les faits pour lesquels on estime qu’ils ne peuvent rien faire pour les changer, et donc qu’il est inutile de les alarmer pour rien, à 8000 km. C’est ainsi qu’il y a plusieurs non-dits entre ceux qui sont restés et ceux qui partent : on parle de ce qui est banal, on hésite à se confier pour ce qui est plus important, et on finit par être très vague sur ce qu’on fait réellement ici, au loin, et ceux qui sont là-bas finissent par ne plus poser de vraies questions non plus. On a ce sentiment de devoir à tout prix réussir et de ne jamais décevoir les espoirs qui ont été placés en nous. Étant entendu que le plus grand échec aux yeux de ceux qui sont restés, c’est d’entendre que celui qui est parti va revenir… (mais ça c’est une autre histoire !)
Après un tableau aussi peu clair, vous allez finir par dire qu’il vaut mieux ne pas aller à Andafy. Le débat n’est pas aussi tranché ni manichéen. La liberté, l’accès aux connaissances, à la culture et aux loisirs, le fait de se prendre en charge sont autant d’éléments qui permettent de profiter de ce passage. Il s’agit de trouver un équilibre. Il faut savoir bien s’entourer, avoir des amis (et pas forcément des compatriotes), ouvrir son cœur et sa tête à ce qui est nouveau, écouter celles et ceux qui sont déjà passés par là (ils ne sont pas nécessairement mal intentionnés quand ils donnent des conseils) mais aussi et surtout de ne jamais perdre de vue l’objectif fixé au début.
Quand un drame ouvre la porte aux bêtises et aux fantasmes
Andotiana Andriamampianina était une jeune malgache, qui suivait des études en sociologie à l’Université de Nanterre. Elle était arrivée en France en 2016. Disparue le 9 janvier 2019, son corps a été retrouvé le 12 février 2019. Qu’elle repose en paix ! Veloma Andotiana !
Après sa disparition, j’en ai lu des bêtises et des fantasmes sur le fait d’aller étudier en France sur les réseaux sociaux. Sans savoir ce qui lui est réellement arrivé, je voulais juste témoigner du fait que pouvoir continuer ses études ailleurs n’est pas une sinécure. Pensez-y la prochaine fois que vous entendez un(e) de vos proches vous annoncer qu’il (elle) part à l’étranger. C’est une épreuve, un chemin de vie que l’on traverse chacun à sa manière et non, aller à Andafy ne signifie pas forcément arriver au paradis.
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