4 juillet 2016

Le code de la communication qui censure et fait peur à Madagascar

Après la loi sur la cybercriminalité, qui a été dénoncée principalement pour son article 20, Madagascar va s’apprêter à adopter son Code de la communication médiatisée (c’est l’intitulé exact et complet du code, et non, ce n’est pas une faute d’accord entre Code et médiatisé). Et oui!… et ce n’est une bonne nouvelle ni pour les Malgaches, ni pour la démocratie, ni pour la liberté!

Pour rappel, la loi sur la cybercriminalité a été adoptée en 2014 et son article 20 dispose que :

« L’injure ou la diffamation commise envers les corps constitués, les cours, les tribunaux, les forces armées nationales ou d’un État, les administrations publiques, les membres du gouvernement ou de l’Assemblée parlementaire, les fonctionnaires publics, les dépositaires ou agents de l’autorité publique, les citoyens chargés d’un service ou d’un mandat public, temporaire ou permanent, les assesseurs ou les témoins en raison de leurs dépositions, par les moyens de discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par le biais d’un support informatique ou électronique, sera punie d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d’une amende de 2 millions à 100 millions ariary ou l’une de ces peines seulement ».

Après quelques recherches (comme le style d’écriture de la loi changeait au fur et à mesure des articles, ça se sentait qu’elle n’était pas issue d’une même plume), il s’avère que cet article 20 de la loi sur la cybercriminalité est principalement le « copier-coller » du paragraphe sur les délits contre les personnes, c’est à dire des articles 29 à 32 de la loi sur la liberté de la presse française du 29 juillet 1881. Le mondoblogueur Andriamialy a déjà donné en 2014 un Guide pour les cybernautes malgaches pour survivre à cette loi. Entre autres choses, on peut aussi se poser la question de savoir comment cette loi qui régit ce qui se passe dans le cyberespace compte interdire des actions qui se déroulent dans l’espace physique (comme les cris, menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, ou encore des écrits, des dessins…des affiches exposés au regard du public ) ?

Qu’en est t’il de ce nouveau Code de la communication médiatisée?

L’excellent article de Mialy s’en fout résume bien ce qu’il est : c’est un « code parano «  . L’organisation Reporters sans frontières le dénonce comme un code qui porte « une atteinte grave à la liberté de la presse« , avec cette constante référence au Code pénal pour les délits de presse. Pour me faire ma propre idée, je l’ai lu et il me semble qu’il y a des passages où il y a trop de flou pour que l’on puisse se sentir en sécurité. En effet, dans un premier temps, dans les tous premiers articles de ce code, la liberté de la presse et de l’information est encensée, célébrée, puis, le Code commence petit à petit à dire : faites attention à ce que vous publiez, sinon pan pan fe-fesses! Je ne vais pas faire une revue du Code en entier, mais prendre juste 3 ou 4 articles.

Dessin de Pov (mis avec l'autorisation de son auteur)
(avec l’autorisation de son auteur dont vous pouvez admirer les autres dessins en cliquant ici)

Premièrement, l’article « non vous ne pouvez pas, mais on ne sait jamais… ».

Dans l’article 21, le journaliste doit s’abstenir de porter atteinte à la vie privée des personnes, « même lorsque ces personnes assument des fonctions ou un rôle politique ». Mais  » lorsque l’intérêt public le justifie, le journaliste peut révéler des informations lorsque celles-ci compromettent la morale publique et/ ou constituent une menace pour la santé publique ». J’imagine donc, que cet article pourrait s’appliquer à la carte : on ne peut rien dire si ça concerne certaines personnes, mais si cela peut salir ou ternir un opposant ou quelqu’un à qui on voudrait du mal, on pourra dire que la morale publique est compromise…

Deuxièmement, l’article « tout va bien Madame la Marquise ».

L’article 30 du Code est long mais il pose la question de ce que va devoir faire le journaliste pour informer. En effet, il y a problème « lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite est de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver la paix civile (…) Les mêmes faits sont punis de la même peine lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction est de nature à ébranler la confiance du public en la solidité de la monnaie (…)« . Le journaliste doit donc informer mais en même temps, il ne doit pas dire trop de mauvaises nouvelles. Par exemple, ne pas informer que le cours de l’ariary (la monnaie nationale malgache) est en train de dégringoler par rapport à l’euro, parce que cela pourrait « ébranler la confiance du public en la solidité de la monnaie ». Les informations devraient aussi donc désormais dire que tout va bien partout, que l’insécurité ne règne pas partout, parce que ho! il ne faut pas troubler le moral des armées ni le sentiment de paix (!!!) de la population.

Ensuite, l’article « sois courageux et dis tout et ne pense pas à esquiver en faisant juste une allusion parce que ce sera la même punition « .

Selon l’article 24 du Code, « est punissable la publication (…) si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, appels, menaces, écrits, imprimés, affiches, dessins, annonces ou publications électroniques ». Donc est punissable cette phrase par exemple : « ces hommes en uniforme sur le bord de la route nationale demandent qu’on leur donne de l’argent ». Sachant qu’il y a plusieurs catégories de personnes qui peuvent être en uniforme au bord de la route nationale : des gendarmes, des policiers, des travailleurs, des pompiers…Ou encore récemment le fait juste de dire « le marin, le chirurgien, le laitier, le DJ et l’expert-comptable nous ont coulé chacun à leur façon ». Personne n’a été désignée nommément mais on devine à peu près de qui on parle…mais dans tous les cas, c’est punissable!

Et enfin l’article « au revoir Mr le Marketing, dites nous toute la vérité, ne nous choquez pas sinon on n’en veut pas de votre publicité ».

L’article 180 de ce Code de la communication interdit « les messages publicitaires contenant (…) toute exploitation de superstitions et des frayeurs (…) ou des éléments pouvant choquer les convictions religieuses (…) est également interdite la diffusion de messages mensongers et subliminaux« . L’article 181 rajoute « toute publicité ne doit en aucun cas exploiter l’inexpérience et la crédulité du public et notamment des enfants et des adolescents« . Je ne sais donc pas comment les publicitaires vont faire. C’est vrai que la publicité ne doit pas être mensongère, mais comment savoir si elle va heurter ou non des convictions religieuses? on ne parlera donc plus de manger du cochon sous toutes ses formes par exemple, vu que ni les musulmans ni les juifs n’en consomment…ni des préservatifs vu que les catholiques ne sont pas particulièrement favorables à leur utilisation…ni d’une quelconque force extérieure vu que les athées ne croient pas en l’existence d’un dieu? Et qui va évaluer s’il y a des messages subliminaux dans les publicités? A t’on jamais vu une publicité qui dise réellement la valeur, les réelles capacités d’un produit? Quelle est la limite entre le fait d’embellir un peu un produit et le mensonge? Et doit t’on considérer le public comme débile crédule jusqu’à quel point? Je n’aimerais pas travailler dans une agence de publicité avec ce code de la communication, dans sa version actuelle.

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Beaucoup de personnes pensent que ce Code de la communication ne concerne que les professionnels de la communication, mais son adoption est plus pernicieuse : il grignote de plus en plus sur nos espaces de liberté et d’expression, on a peur de se faire dénoncer ou d’être catalogué comme perturbateur, même si on est juste citoyen, on s’auto-censure. Je prends juste exemple sur les réseaux sociaux, on peut de moins en moins y exprimer des questionnements sur la gouvernance à Madagascar et sur les actions des dirigeants malgaches. En effet, il y a toujours quelqu’un pour commenter et dire « attention à l’article 20…attention au Code de la communication », que ce soit en blaguant ou plus sérieusement.

Aujourd’hui donc on commence à faire attention à ce qu’on dit, ensuite, on ne peut pas tout révéler de peur que cela ne soit considéré comme une faute et demain ce sera quoi? on va devoir applaudir et chanter les louanges à la gloire des dirigeants pour ne pas se faire fouetter? ou devra se prosterner devant les portraits de ceux-ci? …

 

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