La crise à Madagascar : responsabilité partagée entre les dirigeants et les dirigés

Article : La crise à Madagascar : responsabilité partagée entre les dirigeants et les dirigés
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29 mai 2015

La crise à Madagascar : responsabilité partagée entre les dirigeants et les dirigés

« Izy mivady no miady ka ny ankizy no voailakilaka sy voatehamaina » : c’est un proverbe malgache qui explique que lorsque les parents sont fâchés l’un contre l’autre, ce sont les enfants qui trinquent. Au vu de ce qui s’est passé ces derniers jours (on parle ici du vote en vue de la déchéance-destitution du Président malgache Rajaonarimampianina par les députés de l’Assemblée nationale), on aurait tendance à croire que parce que papa-gouvernement et maman-assemblée-nationale ne sont pas contents l’un envers l’autre, ce sont les enfants-peuple-malgache qui trinquent. Et pourtant, il est possible de voir le problème autrement et d’en arriver à une autre conclusion. Au final, si Madagascar navigue depuis de si nombreuses années sur une mer agitée et n’arrive pas à bon port (le développement ? La paix ? La prospérité ?), c’est parce qu’aucun passager ne veut bien y mettre du sien pour faire aboutir le voyage. Et pourtant chacun a sa responsabilité.

Le radeau de la Méduse

Les crises politiques malgaches, cycliques, ont débuté il y a plusieurs décennies (en 1972). Pour résumer les grandes dates, après 1972, il y a eu 1991, 1995, 2002, 2009… Il y a quelques jours, les médias titraient sur « une nouvelle crise à Madagascar », en parlant de la procédure de destitution ou déchéance initiée par les députés à l’encontre du Président de la République. Les discussions étaient lancées pour savoir la suite que la Haute Cour constitutionnelle allait donner à cette initiative des députés. Même si à ce niveau, seules les rumeurs ont vraiment couru. A l’heure actuelle, on ne sait pas réellement quelle procédure les députés ont effectuée, sur quelle disposition de la Constitution ils se sont basés, ont-ils fait les choses selon les règles ? La décision de la Haute Cour constitutionnelle ne manquera pas de nous donner des renseignements là-dessus. De son côté, le Président a fait une allocution pour, en quelque sorte, se défendre des accusations formulées par les députés.

Comme à chaque crise, chacun y va de son analyse pseudo politique et de ses supputations. Certains nourrissent secrètement l’espoir de revenir sur le devant de la scène (ayant fait le mauvais choix au moment de retourner la veste), tandis que d’autres ont peur de voir le voyage se terminer (constatant que le matelas de secours n’est pas encore assez garni pour couler des jours heureux).

Or, il faut le constater, si le bateau Madagascar erre sans direction, c’est tout simplement parce que personne n’a pris ses responsabilités et que chacun croit qu’il y aura forcément quelqu’un qui se sentira obligé (on dit terem-panahy en malgache) de ramer pour tout le monde et de prendre la barre. Sont visés ici à la fois les dirigeants malgaches et le peuple malgache.

Le peuple malgache, se croyant sans pouvoir et à la merci des dirigeants se laisse faire et ne réagit pas alors que le voyage commence à durer et le ravitaillement à se raréfier. Et quand il y a des secousses et des ressacs, c’est toujours le même refrain : « Ô, mais on a des dirigeants incapables et incompétents… que pouvons-nous y faire, nous ne sommes que le petit peuple dont personne ne se préoccupe ». Faut-il rappeler à ce peuple que les dirigeants (sauf dans les cas de coup d’Etat) n’arrivent pas comme par miracle au pouvoir, et que Madagascar n’est pas un royaume où le pouvoir est confié à un représentant divin sur terre ?

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Madagascar a la chance d’avoir une réglementation qui accorde le droit de vote à chacun, du moment qu’il est majeur. Les femmes (qui n’ont pas besoin de la permission de leurs maris, frères ou pères, et qui peuvent aller toute seule dans les bureaux de vote), les minorités (mais y en a t’ il à Madagascar ?), les invalides, les campagnards, les urbains, etc. Tout le monde a le droit de vote, mais peu de personnes l’exercent, il n’y a qu’à voir le taux de participation aux élections. Et dans une démocratie (oui, jusqu’à preuve du contraire, Madagascar est une démocratie), seuls les élections et les votes comptent. Donc, avant de se draper dans son statut de victimes des gens de pouvoir, il faut se poser la question : « Et moi, concrètement, est-ce que j’ai effectué mon droit de citoyen de m’exprimer lors des élections ? ». Il y a aussi la rengaine habituelle et l’affirmation presque dédaigneuse de la personne qui déclare haut et fort que les élections ne servent à rien, alors, pourquoi perdre son temps à faire la queue pour aller voter puisque de toute façon les dés sont pipés ? (avec en renfort, la fameuse citation « voter ne sert à rien, sinon ça aurait été interdit »). Et bien, pendant que vous vous dites ça, les partisans, même du plus mauvais aspirant dirigeant, ils vont voter et contribuer à faire accéder au pouvoir les gens incompétents que vous dénigrez.

Comme dit plus haut, dans une démocratie, seuls les votes comptent, un candidat peut être le plus nul, tant qu’il aura des voix pour lui lors d’une élection, il sera démocratiquement et légalement élu même s’il est incompétent.

Mais les votes ne font pas tout, le citoyen, peut aussi au quotidien œuvrer dans son périmètre pour le bien-être du pays. Trop ambitieuse comme idée ? Ttrop lourde comme charge ? Plusieurs initiatives citoyennes ont besoin de volontaires et de bénévoles (Wake Up Madagascar peut être pris en exemple) pour faire bouger les choses et force est de constater que les gens ne se sentent pas capables de réaliser ces choses-là. Il ne vous est pas demandé plus que ce que vous pouvez. Critiquer les dirigeants sur leur incompétence et leur manque de vision est un sport pratiqué par la plupart des citoyens. « Et moi, qu’est-ce que je fais à mon niveau pour aider ? ou suis-je la personne qui ne fait que critiquer sans agir, dénigrer sans apporter ma part ? ».

Vous avez déjà entendu l’histoire du colibri? (racontée par Pierre Rhabi)

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! ». Et le colibri lui répondit :« Je le sais, mais je fais ma part. »

Comme on dit « ny erikerika no mahatondra-drano » (littéralement : ce sont les crachins qui provoquent les inondations, mais qui peut se comprendre comme : les petites choses rassemblées peuvent faire aboutir à de grandes choses).

Le peuple malgache doit prendre ses responsabilités, exercer ses droits de citoyen, et ne pas attendre seulement qu’on lui tende le poisson, mais prendre l’initiative d’apprendre à fabriquer sa canne à pêche et à pêcher. Les mannes qui viennent du ciel datent d’il y près de 3 000 ans… si elles tombent encore aujourd’hui, il y a les conditionnalités et les taux d’intérêt qui suivent derrière.

Mais dans cette histoire, les dirigeants ne sont pas innocents. Après tout, ils sont sensés diriger le navire et tenir la barre. Il en est autrement. Sauf à une exception près, aucun homme (englobant femme) politique malgache n’a jamais eu de vision pour Madagascar ou même pour une commune ou un village. Entre ceux qui n’ont pas tracé d’itinéraire, mais se contentent de s’admirer dans le miroir avec leur costume de commandant de bord, et ceux qui mettent la charrue avant les zébus, l’errement maritime n’est pas près de se finir. Aucun programme réel, aucun projet de fond n’est jamais discuté, les candidatures se font pour plusieurs raisons, mais jamais pour la bonne raison. Soit on a besoin d’effacer un passé douteux et d’échapper à toute poursuite (les dossiers sont si vite disparus une fois en place). Soit c’est pour se venger de ce que les précédents ont osé faire à son encontre. Soit par pure vanité et soif de toujours plus de richesse.

Le bien commun et l’intérêt général sont des termes inconnus au bataillon de la politique malgache. Accéder au pouvoir signifie trop souvent améliorer son propre niveau de vie (dans ce cas, il ne s’agit plus d’un ascenseur social, mais carrément d’une fusée), s’octroyer tous les pouvoirs possibles et présider à la vie de ces concitoyens en n’acceptant de faire le travail que contre espèces sonnantes et trébuchantes. Arrivés au pouvoir, les dirigeants ne pensent souvent qu’à rafler le butin et exigent d’un pays qui est déjà très démuni, qu’ils (et leurs familles et proches) soient choyés et gâtés comme des empereurs. Le sens de la dignité et de l’honneur ne sont que de vagues notions qui ne les empêchent pas de dormir dans de belles villas champignons (qui poussent littéralement et rapidement comme des champignons), ni de se gaver alors que des millions de concitoyens souffrent de la famine.

Les dirigeants malgaches (gouvernement, députés …) doivent se rendre compte qu’à force de ne voir que leur nombril et de ne penser qu’à avoir plus, ils vont finir par s’étouffer (avec l’aide du petit peuple) dans leur vanité et leur soif inextinguible. Le peuple a peut-être parfois des mémoires de poisson rouge et refait les mêmes erreurs, mais il y a toujours un point de non-retour. Et quand ce Rubicon sera franchi, il sera trop tard pour penser à élaborer un programme de développement, ou à inaugurer de petites infrastructures réalisées grâce aux financements extérieurs.

On peut faire des analyses sans fin, débattre ici et là, mais il est surtout temps de commencer à retrousser ses manches, se préparer à ramer, apprendre à lire la carte maritime et à tracer notre itinéraire parce que si cette dérive continue, le bateau Madagascar finira par percuter un iceberg. Et là il n’y aura pas de planche pour nous sauver.

 

 

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